Empi et Riaume: des traditions locales aux cultures du monde
Bien rares sont les associations qui peuvent célébrer avec satisfaction leur 75 ans. En 2010, « Empi et Riaume » a été l'une d'elle. A ce titre le groupe d'art et de traditions populaires, dont le siège est à Romans depuis ses origines, fait partie des plus anciennes associations de notre cité. Comment retracer l'histoire si longue d'un groupe qui s'est toujours adapté à un monde en évolution pour survivre et rayonner, un groupe qui assumant l'héritage de ses premières décennies mais qui a su également l'enrichir. Comment relater aussi tant d'histoires personnelles ?
Une Romanaise, Marie-Madeleine Bouvier, femme de caractère, très marquée par le régionalisme et le folklorisme qui triomphent alors plus au sud, en Provence, crée en Drôme, un « cercle d’études régionalistes et folkloriques » sous le nom « Les Amis de Mistral ». En Ardèche, le poète Charles Forot partage des préoccupations comparables. En 1938, Marie-Madeleine Bouvier et le Cercle de Romans décident de travailler avec les cercles ardéchois de Charles Forot. Pour éviter que cette fédération ne soit confondue avec les groupements provençaux, « Les Amis de Mistral » deviennent « la société folklorique et régionaliste Empi et Riaume ». Le nom choisi reprend le « cri » des mariniers du Rhône, hérité du Moyen-Âge, pour éviter les rives du grand fleuve : « bute à l’Empi et pique au Riaume » (Riaume désignant la rive droite, le royaume de France, et Empi, la rive gauche, le Saint-Empire Romain germanique dont le Dauphiné était, au Moyen Âge, l’une des principautés).
Les activités de la société couvrent alors le champ très large du régionalisme avec notamment l’étude de l’histoire locale restituée à travers des conférences ou des pièces de théâtre ; le public était invité à collecter des documents sur l’histoire du pays de Romans, les traditions drômoises et ardéchoises. C’est ainsi que Marie-Madeleine Bouvier commence à constituer une petite collection de costumes et de coiffes du Dauphiné.
L’une des sections de la société est plus précisément chargée de la collecte des coutumes et traditions locales immatérielles, à caractère proprement culturel, le folklore. Des auditions de danses et de chants auprès des « anciens » des terroirs drômois et vivarois sont organisées par « la troupe folklorique d’Empi et Riaume ». Les élèves des écoles sont même invités « à rechercher les éléments épars du folklore pendant leurs vacances ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, la société développe la restitution de ces danses en proposant des spectacles dans les villes et villages, quelquefois éloignés de Romans. Dans ces périodes de restriction et d’occupation, la demande est forte car les spectacles de divertissements sont rares ; les déplacements sont difficiles et quelquefois épiques !
La société se constitue officiellement en association. La renommée qu’elle a acquise et le volontarisme de Marie-Madeleine Bouvier laisse espérer de nouveaux horizons ; cette année-là, la troupe participe au « gala des Alliés » à l’Opéra de Paris. Les années 1950 voient les activités de la société décupler ; en 1949, participation aux fêtes du sixième centenaire du rattachement du Dauphiné à la France, participations aux nombreuses fêtes du Rhône. Au cours de cette décennie est réalisée l’essentiel de la collecte des danses et chants traditionnels qui constituent aujourd’hui le répertoire du groupe, alors que disparaissent les derniers témoins de la société rurale du XIXè siècle.
« Empi et Riaume » n’a pas encore de local qui lui soit propre ; son Siège est au 7 Côte des Chapeliers. En 1954, la ville de Romans lui affecte officiellement cet immeuble. Le maire, Paul Deval, suggère alors à Marie-Madeleine Bouvier de présenter une exposition permanente des collections réunies. Le maire propose de joindre à ce musée régionaliste et ethnographique, un musée de la chaussure. « Empi et Riaume « poursuit donc ses activités multiformes sur le thème du régionalisme, mais l’année 1962 voit cette orientation nettement s’infléchir.
Marie-Madeleine Bouvier, alors âgée de 70, choisit de céder ses collections à la Ville. »Empi et Riaume » abandonne alors sa vocation muséographique et régionaliste pour se concentrer entièrement à des spectacles de danses et devient, aux yeux du public « un groupe folklorique ». Un programme est structuré et sera peu modifié pendant trente ans. Selon les propres termes de Marie-Madeleine Bouvier, il comporte « des danses mythiques, de conjuration, des danses dérivées d’anciens cultes païens, des danses saisonnières (rattachées aux anciennes coutumes et fêtes de moisson, de vendanges, etc ….), des danses burlesques, des danses de festivités) ». Pour l’essentiel, des danses de montagnes protégées des influences extérieures mais aussi enrichies par les échanges facilités par le grand axe de communication qu'est le Rhône.
Le groupe quitte la Côte des Chapeliers au début des années 1970 pour s’installer dans les trois salles du rez-de-chaussée de l’espace Visitation en cours d’aménagement dont les étages accueillent également le Musée International de la Chaussure. Ce dernier prend de l’extension au cours des années 1980. La Ville reloge le groupe dans les anciens locaux de l’hôpital, quai Sainte-Claire, provisoirement puis définitivement à partir de septembre 1991. Ces déménagements reflètent également de nouvelles activités pour le groupe, notamment avec la multiplication des déplacements en France et à l’étranger dans les années 1960. En 1972, le groupe est sélectionné pour assurer aux JO de Munich la partie française du folklore mondial. C’est une reconnaissance officielle qui place « Empi et Riaume » sur le podium des groupes folkloriques français ; des dizaines de prestations en France et à l’étranger s’en suivent au cours des trente ans à venir.
1977 ouvre l’époque actuelle du groupe dont les activités reposaient alors sur ses propres spectacles de danses. Cette année-là, la Ville organise des festivités pour le week-end de la Pentecôte ; quelques groupes folkloriques sont invités, certains de pays européens ; Empi et Riaume a la charge de l’accueil des différentes délégations. Le Festival de Folklore est reconduit les années suivantes, puis déplacé en juillet où les troupes invitées, de plus en plus nombreuses, peuvent présenter le talent de leurs danseurs sur une semaine à partir de l’an 2000. C’est, aujourd’hui, le Festival International de Folklore «Cultures et Traditions du Monde» dont l'organisation et la gestion sont confiées à « Empi et Riaume » par la Ville de Romans. Ce festival est le prolongement naturel des activités quotidiennes du groupe et illustre son attachement à toutes les traditions populaires. Il permet l’expression artistique de jeunes artistes du monde entier et affirme les principes nécessaires de tolérance et de fraternité en valorisant la diversité culturelle ! « Empi et Riaume » a donc toute sa place comme membre de l'Union Nationale des Groupes de Traditions Populaires et du Collectif ainsi que du Conseil International des organisations de Festivals de Folklore et d’Arts Traditionnels (CIOFF), ONG de l'UNESCO.
Cependant, « Empi et Riaume » reste attaché à ses racines locales. L e groupe, avec plus de cent adhérents de tout âge, poursuit ses activités en faveur de la conservation, de la transmission et de la diffusion du patrimoine dauphinois et vivarois. Des ateliers de formation de danse traditionnelle, de chant polyphonique et de pratique d'instruments typiques se tiennent régulièrement pour amener les participants à leur meilleur niveau. Parallèlement, un apprentissage de techniques anciennes est proposé en dentelle et broderie afin de compléter les costumes confectionnés par de petites mains expertes.
Finalement, ne peut-on pas résumer ce beau parcours de 75 ans en une simple sentence : « du folklore aux traditions populaires, pour l’amitié entre les peuples, des rives du Rhône aux cultures du monde » ?
Laurent Jacquot, professeur d’histoire, octobre 2010